• Nicole

    Quand j'étais petite, je passais mes mercredis chez ma grand-mère. J'aimais par dessus tout monter dans le grenier pour retrouver Nicole, une poupée magnifique. Le jouet favori de ma mère étant petite.
    J'aime cette poupée, son visage de porcelaine, ses cheveux bruns légèrement frisés et sa robe de dentelle fine.
    Je l'aime tellement, je voudrais qu'elle soit à moi, mais Grand-mère refuse qu'elle quitte le grenier sous prétexte qu'elle est trop fragile et que je suis trop jeune. Mais aujourd'hui j'ai 17 ans, je suis grande et j'ai décidé d'emporter Nicole à la maison. Grand-mère ne s'en apercevra pas de toute façon, elle ne peut plus monter au grenier à cause de ses genoux.


    J'ai élaboré un plan pour m'emparer de mon trésor au nez et à la barbe de Grand-mère et aujourd'hui je le mets à exécution.
    Ma mère emmène Grand-mère faire des courses. Je me retrouve seule chez elle avec le champ libre. Vite, direction le vieux grenier. J'avale les marches deux à deux, muée par un sentiment de peur et d’excitation. J'ai une boule au ventre, mes mains tremblent et ma respiration se fait plus rapide. C'est un vol que je commets... Non. De toute façon, Grand-mère aurait fini par céder et me l'aurait offerte. Je ne fait qu'anticiper ses actes.


    J'arrive enfin, ces marches m'ont semblé interminables. Je suis un peu essoufflée. Sûrement à cause du stress. Le grenier est sombre, il n'y a jamais eu d'électricité dans cette pièce. L'unique source de lumière provient d'une lucarne partiellement couverte d'un drap. Seuls quelques rayons aveuglants filtres à travers ce linceul, ils sont tout juste suffisants pour effacer les ténèbres et transformer les ombres immobiles en objets réels. Ce grenier est bien rempli.
    Je me met en quête de la poupée parmi les formes se découpant dans l'obscurité et les ombres rebelles. Enfin, elle apparaît. La voici, assise sur une grande malle rouge. Elle m'attend, immobile, me fixant de ses yeux de verre.
    La poussière s'est accumulée au fil des années. Je commence à épousseter les vêtements de la poupée, puis ses cheveux. C'est alors qu'un détail m'interpelle. En examinant la tête de plus près, je remarque une sorte de pli sur les cheveux et une marque sur la tempe, semblable à de la colle sèche et sombre. Ces marques semblent avoir été laissées par un couvre-chef. La poupée doit avoir un chapeau. Quelle nouvelle ! Si je retrouve ce chapeau, la poupée n'en sera que plus belle.
    Ravie de cette découverte, je pars à la recherche du trésor. Je remue l'opacité du grenier, retourne les fripes, ouvre les boîtes... Rien. Seule la poussière qui s'élève au fur et à mesure de mes recherches. J'abandonne. Dommage. Je me dirige vers la poupée, la soulève. Elle est si légère.



    Pourquoi n'y ai-je pas pensé ?
    La malle rouge...
    Mais oui, toutes les affaires de Nicole doivent s'y trouver. Seulement, il faut une clé pour l'ouvrir.
    Je ne veux pas abandonner aussi près du but. Il doit y avoir un moyen d'ouvrir cette malle. J'examine le coffre et remarque que les gonds sont simples à démonter. Je me mets au travail et en quelques minutes la malle cède et livre enfin ses secrets.
    Un fabuleux trésor apparaît devant mes yeux ébahis.
    Des robes de dentelle, une dînette en porcelaine, quelques peluches vieillissantes...Mais pas la moindre trace d'un chapeau. Je poursuis mes recherches. Au fond de la malle, je tombe sur un tas de tissus teintés de marron et de rouge. Les tissus sont rêches, comme si de la peinture avait séché dessus. Je tire un morceau et l'étends devant moi. Ce bout de tissu se révèle être un t-shirt sale, moucheté de taches sombres avec une petite fleur brodée. Le même genre de vêtement que portait ma mère quand elle était enfant.
    J'attrape à bras le corps ce tas de tissus pour le sortir de la malle. Au moment où je le soulève, j'entends tomber quelque chose sur le sol. Je me penche. Je ne distingue qu'une forme dans le noir. J'étends le bras dans les ténèbres pour me saisir de l'objet.
    Il s'agit d'un carnet d'écolier portant le nom de ma mère. Cédant à la curiosité, je l'ouvre et commence à le lire.
    Les premières pages contiennent des exercices d'écriture, des dictées et des problèmes de calculs.
    Puis l'écriture change. Les pages sont remplies de mots très serrés rendant la lecture difficile et la pénombre du grenier n'arrange rien. Néanmoins, je parviens à déchiffrer ces pages :


    « Je veux vivre.
    J'ai peur, peur de mourir.
    Je ne veux pas mourir.
    J'ai réussi à lui voler son carnet et son crayon.
    Je veux qu'on vienne me sauver.
    Je ne sais pas depuis combien de temps je suis enfermée ici. Il fait noir et j'ai peur.
    J'ai pourtant cru que ce n'était qu'un rêve au début, je me souviens que je suis allée au lit, mais je me suis réveillée ici, dans le noir.
    Une femme vient me voir, Elle me parle, Elle a dit que maintenant j'étais ici, que ici, c'est ma maison. J'ai pleuré au début, je lui ai dit que je voulais rentrer chez moi, Elle m'a frappé, Elle m'a fait mal, très mal. J'ai pleuré en silence.
    J'ai obéi pour ne plus avoir mal.
    Quand Elle n'était pas contente de moi, elle me faisait mal, Elle plantait ses aiguilles dans mes bras et parfois dans mon cou.
    Une fois Elle m'a frappé à la tête, Elle a frappé fort, je me suis réveillée plus tard dans le noir, seule.
    J'ai froid.
    Je veux ma maman.
    Elle a à manger des fois. Elle me parle et si Elle est contente de moi et si je suis sage, je peux manger.
    J'ai obéi parce que j'avais faim.
    Je n'arrive plus à pleurer pourtant mon cœur me fait mal, mes bras aussi.
    Elle est venue. Elle avait des vêtements bizarres pour moi. Elle a dit d'être sage et de mettre la robe.
    J'ai obéi parce que je ne voulais pas avoir mal.
    Puis Elle est venue avec une petite fille triste. Elle l'a laissé avec moi.
    J'avais moins peur avec elle. Elle a parlé, elle a dit qu'elle voulait jouer.
    J'ai dit oui pour ne plus être seule.
    Elle voulait jouer à la poupée, mais il n'y en avait pas. Alors elle a dit que je serais la poupée et elle, elle serra la maman.
    Je veux ma maman.
    Je veux ma maison.
    J'ai accepté pour ne plus être seule dans le noir.
    On a joué longtemps, puis je me suis endormie. A mon réveil, la petite fille n'était plus là.
    J'ai pleuré.
    J'avais peur seule dans le noir.
    Elle est venue et Elle m'a fait mal. Elle a dit que j'avais été méchante et désobéissante. Elle m'a fait mal en parlant. Elle a dit que je ne devais pas parler, pas bouger et surtout, obéir.
    La petite fille est revenue. Elle avait l'air triste encore. Elle m'a prise dans ses bras.
    Je n'ai pas bougé parce que j'avais peur.
    Je n'ai pas bougé parce que je ne voulais pas avoir mal.
    On a joué à la poupée. Puis elle est partie.
    La petite fille est revenue plusieurs fois. Parfois elle amenait à manger. Mais ça n'était jamais assez pour moi.
    J'ai faim.
    J'ai froid.
    Maman.
    Une autre fille est venue. Elle pleurait doucement. Ses lèvres étaient bizarres, grosses et un peu bleues.
    Elle est arrivée en même temps que cette autre fille. Elle l'a installée à coté de moi, puis Elle est partie.
    La fille n'a pas bougé, elle ne m'a pas regardé.
    La petite fille triste est revenue. Nous avons joué ensemble, la fille à coté de moi tremblait.
    Le lendemain, la fille à coté de moi dormait encore. Elle ne sanglotait plus.
    Elle est venue, Elle a pris la fille à coté de moi dans ses bras et Elle est partie.
    J'ai froid et j'ai très faim, et soif aussi.
    Je veux qu'on vienne me chercher.
    Je veux ma maison.
    La petite fille, elle avait l'air heureuse. On a joué, mais elle n'avait pas apporté à manger aujourd'hui.
    J'ai sommeil.
    Je n'arrive plus à pleurer.
    Je veux rentrer.
    Venez me chercher.
    Personne ne viendra me chercher.
    Le crayon est de plus en plus petit, j'ai mal aux doigts.
    Ma robe ne me tient pas chaud.
    Quand la petite fille vient, on joue. Mais je n'entends plus quand elle parle. Je la vois à peine. Elle n'apporte plus à manger.
    Je suis triste.
    Mes yeux me brûlent, ils sont secs, je ne pleure pas, je ne peux plus.
    Mes oreilles bourdonnent.
    On joue.
    J'entends sa voix, elle m'appelle :


    Nicole,

    Nicole.

    Ce n'est pas mon nom.

    Nicole,

    Nicole.

    C'est moi ?

    Nicole,

    Nicole.

    Tais toi !


    Nicole,

    Nicole.

    Oui ?

    Nicole,

    Nicole.

    Je suis Nicole.

    Nicole,

    Nicole.

    Je suis ta poupée.

    Nicole,

    Nicole.

    J e s u i ... »


    Horrifiée par cette lecture, je regarde la poupée.
    Je veux en être sure.
    J'arrache le drap miteux de la lucarne et approche la poupée de la lumière.
    Je lui retire sa robe et relève ses cheveux.
    A ce moment, un frisson d'horreur et de dégoût me parcours l'échine.
    La belle peau blanche n'est pas de porcelaine mais d'os. Les magnifiques yeux de verre ont perdu leur éclat. Ils sont maintenant vides et me fixent dans une ultime supplication.
    Ce n'est plus un joli visage que je contemple, mais un crane humain serti de peau.
    Sous la robe, au niveau de l'abdomen, apparaissent des restes d'organes momifiés par le temps.
    Les marques sur sa tête et sa tempe ne proviennent pas d'un chapeau, mais du coup qu'elle à reçue et qui lui a fait perdre connaissance.
    Je me relève brutalement et lâche la poupée.
    Je veux sortir d'ici.
    Je recule mais mon pied heurte quelque chose.
    Je tombe à la reverse. Ma main s'agrippe à ce qu'elle peut, la grande tenture qui recouvre le mur. Elle cède sous mon poids, découvrant des étagères.
    Des dizaines d'yeux se braquent sur moi, des sourires crispés, de la dentelle.
    Des poupées.
    Semblables à Nicole.
    Je ne pu retenir des larmes d'effrois et je vomi.
    Dans ma terreur, je n'ai pas entendu les pas feutrés de ma Grand-mère qui monte les escaliers.


  • Commentaires

    1
    Mercredi 1er Juillet 2015 à 15:05

    J'ai pas tout compris. En gros la mamie c'est une psychopathe?

    2
    Mercredi 1er Juillet 2015 à 16:59

    Oui en gros c'est sa grand-mère qui a fabriquer les poupées a partir de restes humains. ( Je l'ai compris de cette façon)

    3
    Mercredi 1er Juillet 2015 à 17:09

    ha oui ok, je comprends mieux... X)

    4
    Mercredi 1er Juillet 2015 à 17:46

    Oui x) c'est glauque :3

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